Partir de rien pour créer

Publié le par bernard.fortin.over-blog.com


Partir de rien pour créer, n’est-ce pas l’impossible désir d’un rêve qui ne peut pas prendre sens ?


J’ai un clavier en face-à-face avec un écran pour tout instrument de création. C’est une puissance d’exécution, telle, que le monde est à ma portée. Cet inconnu qui le restera s’ouvre à la pression que peuvent exercer mes doigts. Je produis un assemblage de mots auxquels, je dois donner le sens du beau.


Pourquoi, ce beau ?


Sinon, pour le magnifier à l’adresse de ceux qui regarderont ce blog. Mais, qu’en sera-t-il ?


Mon propos doit être d’écrire afin de créer et de vous faire participer à cette création.


Pour cela, je dois structurer progressivement le produit de mon interrogation.


Tout part de moi. C’est un acte parfaitement insoutenable.


Puisque d’une intériorité, la mienne, je dois m’échapper, pour aller à votre rencontre.


C’est un cours magistral à l’adresse d’un public sans corps, tellement distant que je ne sais comment le penser.


Dois-je le séduire ?


Certainement, car autrement, jamais il ne s’intéressera en retour à ma personne.


Est-ce nécessaire ? Est-ce mon attente ? L’essentiel, pour l’instant est de produire quelque chose qui retiendra votre attention. Je vais essayer de travailler directement en évitant les repentirs. Je m’adresse à vous comme on parle dans l’air. Donc cette œuvre doit se diffuser dans l’espace, sans aucune retenue, elle doit tout parcourir, traverser, parfois changer de milieu et poursuivre sa vie en puissance. 


Vous devez la percevoir, la recevoir, vous en imprégner pour en définir sa portée. L’identifier en tant que telle. Là, nous commencerons à partager quelque chose. Nous nous rencontrerons et entrerons en symbiose.


Mais, comment faire pour connaître votre ou vos réactions ? Je ne sais pas encore.


Comment vous proposer des images que vous ne verrez pas ?

Autrement que par une évocation, une impression.

 

 

 

Comment vous faire rêver, participer ?


Comment à partir de cet ego irais-je à votre rencontre vous que je ne connaîtrai jamais.


Vous qui êtes dans le monde, quelque part, là où,

je ne me rendrai jamais, sinon que par ces mots.

 


Cependant, je sais que je  vous ai atteint puisque vous lisez ce texte.


 

 

Créer  est-ce s’exprimer autrement ?

 

 

Gilles Deleuze

Logique de la sensation

Francis Bacon

11

La peinture, avant de peindre

p. 83

« C’est une erreur de croire que le peintre est devant une surface blanche ».

 

 

Il en est de même pour l’écrivain.

 

Si ce ne semble pas être le cas pour le pianiste ou le chef d’orchestre, ce l’est pourtant.

Le pianiste a un clavier et chacun de ses doigts tape avec plus ou moins de force et de rapidité pour en faire jaillir des sons qui s’enchainent, s’harmonisent jusqu’à simuler sur nous un débordement magistral d’une onde marine, d’un alizé, d’un bouleversement sismique.

Le chef d’orchestre élève sa baguette au-delà de toute possibilité sonore, cette épée de Damoclès qui tombe des nues et bouleverse un monde en attente d’art.

 

Mais, Deleuze ne s’attarde pas sur ce cliché.

Il nous explique que l’artiste doit se libérer de tout ce qui l’encombre, de tout ce fatras d’incertitudes de fausses directions qui induisent vers ce qui ne le lui permettra pas de réaliser ce qu’il doit mettre en œuvre. A cela ; il nous est possible d’ajouter que l’artiste doit se libérer pour avoir la possibilité d’entrer dans son imaginaire et de nous restituer ce qui en lui est déjà en devenir. Il crée un monde que lui-même et nous-mêmes auront à comprendre.

 

C’est sa dialectique.

C’est son ouvrage.

C’est ce qu’il produit pour que d’autres s’attardent sur ses dérives.

 

C’est sa vérité et jamais la notre ; voir non plus la sienne.

 

Cependant Deleuze ne va pas jusqu’à expliquer dans sa démonstration sur le travail de Cézanne que,  s’il lui a fallu un très grand nombre d’années pour prendre conscience de ce qu’il voulait représenter en tant que pomme était une abstraction dans le figuratif, un passage, un nouveau langage que Braque, Picasso et quelques autres ont utilisé dans le Cubisme.

Non, ce qui est le plus important quand on s’arrête devant l’une de ses toiles dans un musée, on voit des fruits, des pommes, une corbeille, une nappe, une table enfin, tout ce qui est familier à une quiétude d’un intérieur sans histoire, sans drame, sans passion, la normalité du quotidien cependant empli d’un certain bonheur.

Non, ce qui se dessine brusquement, ce qui se révèle c’est la révolte.

La révolution déséquilibre toute cette intériorité gentiment bourgeoise.

Un père banquier, une mère douce sans aucune provocation  qui suit le cours des choses sans même prendre en compte les différences que l’injustice sociale ne fait que remplir la tête de l’ami d’enfance, celui avec qui un bouleversement mondial va détruire, celui qui « accuse » jusqu’à défendre la cause de ce qui divise la France en deux.

L’art engage. L’art n’a rien d’anodin. 

Ecrire demande du talent. Zola n’en manquait pas.

Son combat surgissait de ses écrits, de ses phrases, de ses mots.

 

 

Pour Cézanne le déséquilibre révolté ne sortait pas d’un rectangle entoilé qu’aucun Musée, cependant, n’oublie d’encadrer.


Cezanne-Nature-morte-au-panier.JPG

Paul Cezanne

 

 

Sait-on jamais que cette révolte intériorisée déborde, s'échappe.

 

Alors, pourquoi ne pas se demander si ceux qui sont à l’origine de toute forme d’élaboration, de toute chose en-soi ne sont pas les seuls détenteurs de l’œuvre et non pas ce qu’ils produisent.

L’expression prévaut sur l’œuvre.

Malgré tout, seule elle reste et doit perdurer et si possible devenir le chef de l’œuvre accomplie et reconnue comme telle.

Mais que deviennent celles, ceux, celle, ou celui qui l’ont créée?

La philosophie n’en a rien à secouer… Ce qui compte pour elle ce sont les triptyques de Bacon, d’un Bacon éponyme et sa correspondance avec une historicité quand elle aborde l’art. D’un Platon qui reste le gardien de la nature.


Deleuze dit à la page 12 : « Bacon n’a cessé de faire des Figures accouplées, qui ne racontent aucune histoire. Bien plus les panneaux séparés d’un triptyque ont un rapport intense entre eux, quoique ce rapport n’ait rien de narratif. »   

 


 

Qu’est-ce qu’une toile ?

 

Un rectangle comme une fenêtre, une porte.

Un espace plan, à deux dimensions.

Un châssis sur lequel une toile est tendue.

Une intériorité qu’il faut approfondir.

Une duperie de la troisième dimension, une incapacité à proposer la quatrième.

Un corps à corps avec nos manques.

Bacon inversait le sens de la toile.

De l’envers à l’endroit du devant

L’enduit qui recouvre et qui empêche au tissu d’absorber l’huile à cœur et de rendre la pigmentation fade, assommée par la perte de sa propriété à ajouter des glacis jusqu’à l’obtention d’une interpénétration chimique qui révèle tout l’éclat des injonctions de couleurs. C’est par un jeu additionnel que s’imprègne les entre-couches qui s’épanouissent et s’associent en douceur. Ce qui vient, en plus, en épaisseur, par la gestuelle et le toucher du pinceau maîtrisé, ce qui renforce l’accent du dessin et qui provoque une force modelée par sa dynamique.

Bacon peignait à l’envers de ce qui devait être, au cul des choses, de son mal être.

Il nous a instruits de sa propre dimension de vie, de son gâchis, de son écœurement.

Il peignait comme on crie et surtout comme on dégueule sa souffrance morale.

Une inversion à vivre la réalité des faits.

Une quête de la beauté et du tragique pour expier ses fautes.

Un pur produit d’une civilisation occidentale dont les clichés deleuziens sont les derniers soubresauts.

Il avait retourné le miroir pour peindre et comprendre sa sociabilité.

Il voyait et nous montrait ce qui se passait derrière tous les derrières de ce qui n’est pas donné à voir comme s’il ouvrait ou refermait les panneaux d’un tryptique disposé sur l’autel d’une église ou, encore, comme sur les pistes des cirques de son enfance.

Le clownesque ne pouvait y coexister avec ses tourments

Ce qu’il disait réellement, probablement que nous ne le serons jamais parce que lui-même n’avait pas assimilé l’enjeu de sa vie. Il avait choisi presque tardivement d’être peintre pour s’exprimer artistiquement.

Il lui fallait peindre pour sortir d’une confusion totale.

 

Bernard Fortin

Publié dans Ego

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